« On demanda à Michèle Alliot-Marie de créer une nouvelle recette de yaourts, et c’est ainsi que MAM* innova. » Mon meilleur calembour de lycéen sous l’ère Sarkozy n’avait, à l’époque, pas rencontré son public. J’en étais si fier que, loin de me faire douter quant à la qualité de mon humour, les réactions mitigées de mes camarades de classe me décevaient profondément de leur part, mais pour eux. Comment ces graines d’adultes comptaient-elles profiter des joies de la vie, des petits et grands bonheurs de l’existence, avec un aussi piètre goût ? (Ici, je pourrais ajouter une saillie du style « moi, manquer d’humilité, comment ça etc », qui ne ferait que trahir la volonté d’être pris pour humble en faisant mine de reconnaître que mon affirmation ne l’est pas, mais je n’ai aucune envie de passer pour humble, ni que cet abandon de toute prétention d’humilité ne soit considéré à son tour comme de l’humilité bref passons).
D’accord, les jeux de mots en pagaille de ce « magazine » hebdomadaire, systématiquement rédigé sur une copie double à grands carreaux, que j’avais pompeusement intitulé « Réflexions philosophiques » laissaient à désirer pour la plupart. Même s’ils étaient – j’en avais fait un point d’honneur – intégralement de mon cru, ils n’enchantaient guère que mon voisin de table, coucou Daja, et deux ou trois parents d’élèves qui se délectaient de la lecture du format « numérique » sur Skyblog. Les commentaires du style « Excellent ! Signé : Patrick » continuent de me hanter. Mais, pour le coup, avec MAM innova, je m’étais surpassé.
Allez, dans notre grande mansuétude, trouvons une circonstance atténuante à mes camarades d’alors : pour la bonne tenue de la crème du jeu de mot, il m’avait fallu le renfort de cette histoire de yaourt, purement artificielle. Mais voici que, plusieurs années plus tard, le journalisme de pacotille de Paris Match, relayé avec empressement par France Info, venait lui donner le cadre nécessaire pour qu’il tienne debout, sans artifice. Pour qu’il passe de cet état liquide peu ragoûtant à l’onctuosité nécessaire et fruitée susceptible d’en faire profiter les palais aussi bien des novices que des connaisseurs.
Le journaliste Florian Tardif** pour Paris Match, couvrant l’incarcération de l’ex-chef d’Etat : « N. Sarkozy a acheté un balai, du thon et des yaourts. » J’espère qu’il en a aussi ramené pour ses deux amis, pardon je veux dire des deux officiers qui dorment dans la cellule d’à côté pour assurer sa sécurité comme si l’administration pénitentiaire n’en était pas capable.
De quelle marque ? demandai-je en commentaire de la publication instagram correspondant à cette information de la plus haute importance. Petit Navire et Activia, me répondit un autre commentateur taquin.
Ma plume, enfin mon doigt, enfin restons sur ma plume métaphorique, braquée depuis tant d’années dans l’attente de cet éventuel moment de grâce qui n’avait aucune raison de se produire, lui décocha cette réponse à l’accent fantomatique de mon doux passé : « MAM innova », en expliquant calmement pourquoi, sans laisser transparaître l’incroyable émotion qui me submergeait, sans laisser quiconque entendre mon coeur battant la chamade, sans laisser deviner que j’étais retourné en enfance, que la circularité khaldounienne de mon Histoire personnelle était bien établie (j’enchaîne les madeleines de Proust en ce moment, il faudra que je fasse attention à ma ligne).
Il en est ainsi de bon nombre de jeux de mots, qui préexistent comme ça, de manière éthérée dans les firmaments du verbe, avant qu’une actualité adaptée, qu’un fait divers insipide tombé du ciel, et relayé par un journaliste zélé, ne vienne donner cette occasion de bien les placer qui les sublime.
Au bout de cet récit fort brouillon dites-moi
qu’au moins une papille a trouvé son émoi.
A.H.