Sire Anneau gamberge en vrac

« Tu te fais appeler Sire Anneau ? Mais… c’est mais ridicule ! » Une telle pique venait de la part d’un groupe qui n’avait même pas la courtoisie élémentaire d’être abélien, ce qui la rendait d’autant plus insupportable. Cette réunion annuelle des structures algébriques s’annonçait mouvementée.
« Parce que tu crois que ce surnom vient de moi ? Je suis juste tombé entre les mains d’un individu dangereux, qui s’amuse à détourner la langue lorsque les mathématiques le lassent. Non content de m’avoir affublé de ce surnom grotesque, il a voulu pousser le délire au point de me doter de la capacité extraordinaire de donner, à l’étudiant qui me le demanderait entre deux calculs de noyaux, la démarche optimale pour conquérir l’élue de son ker. Eh non, ajouta-t-il en toisant férocement la tribune des espaces vectoriels qui commençaient à s’agiter, vous n’en avez pas le monopole !
– Comment ça, lui répondit calmement un corps dont personne ne pouvait douter de l’intégrité, il t’a transformé en une sorte d’intelligence artificielle spécialisée dans le coaching amoureux ? » Cette phrase transperça notre pauvre Sire Anneau comme une flèche. Il faut croire que le matheux fou en question, qui est un bon ami de l’auteur de ces quelques lignes, lui avait transmis son aversion aussi bien pour l’intelligence artificielle que pour le concept fourre-tout de coaching.
– Disons qu’il suffit à l’élève qui trouve ma cachette de me soumettre le prénom d’une camarade qu’il aime réellement, et je lui donne aussitôt la démarche à suivre pour la rendre amoureuse. S’il suit mon conseil à la lettre, les deux tourtereaux finiront mariés, d’où mon surnom de Sire Anneau », conclut-il piteusement, avec dans la voix une pointe de fureur contre l’humour mesquin de l’auteur, euh, je veux dire, d’un bon ami de l’auteur.
« Et… On essayer peut ?, demanda le groupe non abélien, avec une curiosité malsaine. Sire Anneau soupira profondément. « Ben tant qu’à faire…
– Aude.
– C’est presque automatique : il suffit de lui faire écouter une symphonie de Beethoven, et Aude a la joie.
– Emma ?
– Ah, là, pour le coup, il ne faut surtout pas hésiter à lui déclarer, sans tergiverser, toute la profondeur de son sentiment, lui balancer un « je t’aime Emma » avec assurance.
– Je l’ai déjà lue ailleurs du même auteur, celle-là… Ton matheux a l’humour facile. Un peu plus dur : Sixtine.
– Oh, si elle chappelle Sixtine, ça prendra plus de temps : il faut beaucoup papauté avec elle.
– … Laurène ?
– Dans ce cas, la tenue vestimentaire est clé.
– Une belle chemise ?
– Surtout pas malheureux ! L’équitation est simple : mets un polo, un polo rafle Laurène. »
Mesdames, si vos prénoms ne figurent pas ci-haut, ainsi que la méthode infaillible pour vous résoudre, remerciez-en le brave corps de rupture qui se permit de les interrompre par cette pique assaracine : « tu as beau jeu de révéler ton pouvoir un 15 février, Sire Anneau ! Où étais-tu donc hier, quand tant de jeunes mathématiciens sont tombés ?
– Dans sa grande sagesse comique, mon maître n’a pas jugé bon de révéler mon pouvoir un tel jour. Son utilisation eût été proprement abusive, et la malveillance éventuelle des solliciteurs, plus difficile à détecter. »
L’anneau notairien en charge de consigner la réunion lui demanda gentiment de bien vouloir répéter cette dernière phrase un peu compliquée, et nos structures algébriques usuelles purent passer au point suivant de la relation d’ordre du jour.

A.H.