Le génie des autres – viser les étoiles

Cet article s’adresse en particulier à ce profil d’élève plutôt bon en mathématiques en Terminale, et qui va se retrouver en prépa avec d’autres élèves qui, eux aussi, étaient bons, voire très bons, dans cette matière. De manière plus générale, il s’adresse à l’élève bon dans son milieu actuel, et qui va se retrouver, par le biais de la sélection, dans une filière où la barre est plus haute.

Attardons-nous sur l’état d’esprit d’un élève qui attaquerait cette nouvelle phase de sa vie académique. On lui répète souvent de viser les étoiles, de ne pas manquer d’ambition, d’être toujours dans les premiers, de surperformer… Viser les étoiles pour, au pire, atterrir sur un nuage, selon tant d’expressions fades et convenues de la culture pop.

Pourquoi décrire cette vision féérique des choses avec un ton aussi grincheux, comme si je ne voulais pas que les jeunes gens croient en leurs rêves ? S’ils ne faisaient que viser les étoiles avec acharnement, en travaillant, en redoublant d’efforts, sans se laisser abattre par les échecs passagers, cette théorie tiendrait la route, et je serais le premier à la mettre en avant.

Dans la réalité, on observe souvent une situation tout autre : l’élève vise les étoiles, ce qui se traduit concrètement par le fait de se dire, par exemple, « je veux être dans le top 5 au prochain DS », voire carrément « je veux majorer le premier DS de l’année, je peux le faire, rien n’est impossible etc ». Eh bien, lorsqu’on a cela en tête et qu’on arrive 15ème ou 20ème sur 40, on peut être grandement découragé par ce résultat loin d’être mauvais – tout dépend d’où l’on part, nous en reparlerons – mais trop éloigné de notre idéal.

Voilà donc le problème avec le fait de viser les étoiles aveuglément et sans nuance. Dès que l’on se rend compte d’être sur Terre, dès que l’on appréhende la distance Terre-étoile, on se dit « oulala, comme je suis loin ». Parti d’une attitude soi-disant motivante, positive, optimiste, l’on se retrouve – comble des combles – plus découragé qu’à notre point de départ.

C’est pourquoi, à l’expression « viser les étoiles », je préfère largement l’idée, après avoir correctement défini ces étoiles, de les envisager sereinement. De les regarder bien en face et de leur dire « j’aimerais bien parvenir à votre hauteur, et je vais me donner les moyens de ce souhait ». Comment ? En soignant ce qui m’appartient, c’est-à-dire le travail, l’effort que je fournis et la méthode que j’emploie.

Par exemple, lorsque vous entrez en prépa, que le ou les premiers DS vous mettent une gifle, ce qui arrive bien souvent, ne perdez ni votre temps ni votre énergie dans les comparaisons rageuses avec vos camarades. Concentrez-vous sur votre évolution. Intéressez-vous aux classements de vos DS non pas tant pour la comparaison qu’ils fournissent avec le reste de la classe, mais plutôt pour la comparaison qu’ils vous donnent avec vos classements précédents.

D’ailleurs, certains camarades vous sembleront indépassables. « Ce n’est pas possible, je travaille d’arrache-pied, lui ne fait rien et il y arrive beaucoup mieux que moi. » Rappelez-vous que vous ne partez pas, au départ, à égalité en termes d’aisance mathématique. À la rigueur, on se contrefiche de savoir l’avantage comparatif d’Untel par rapport à vous vient d’aptitudes innées ou d’acquis des années précédentes. Ça ne change pas grand-chose de savoir d’où vient cet écart. Je dirais limite si on pouvait remonter le passé pour savoir : « Lui, il a fait ça en CM2 » ou que sais-je. Oui, si on pouvait remonter le temps et faire comme lui, peut-être que ça n’aurait rien d’intérêt, mais on ne peut pas.

Vous êtes face à cette situation présente, où il calcule beaucoup mieux que vous, raisonne plus vite, voit rapidement telle chose que vous ne voyez pas. Et vous, sur d’autres matières, avez peut-être d’autres avantages comparatifs. Ou alors parfois, il y a des profils comme ça qui sont frustrants, avec des avantages comparatifs dans toutes les matières par rapport à vous. Peut-être était-il dans un lycée où l’on fait voir une partie du programme de prépa en avance. Peut-être a-t-il eu un excellent prof telle année où vous, vous avez eu un enseignant moins pédagogue, et que ça se ressent sur votre maîtrise des notions abordées. Peut-être a-t-il bénéficié de cours particuliers et pas vous. Peut-être que dès la primaire, ses parents lui ont fait faire telle ou telle chose qui a favorisé son éveil mathématiques. Peut-être même que ses parents sont profs de maths. Ou peut-être rien de tout cela. Si l’on pouvait remonter le temps, ces conjectures pourraient avoir un intérêt correctif.

Mais puisque vous ne pouvez pas, il ne vous reste qu’à vous efforcer, à partir de ce que vous avez comme bagage, d’avancer avec votre travail acharné, sans vous en vouloir d’être au départ – et même sur la durée – moins bon que d’autres sur telle ou telle matière.

Parce que s’en vouloir pour des choses sur lesquelles vous n’avez pas prise mine votre combativité. Se dire « moi je travaille sans y arriver, lui ne fait rien mais y arrive » a pour funeste corollaire « je suis bon à rien, ou je ne suis pas fait pour ça ». Ce qui a toutes les chances d’être faux : rappelez-vous que vous avez été accepté dans une filière où il n’y a que des bons ou très bons, sélectionnés pour leur aisance dans tel domaine et leur intérêt pour ce domaine. Souvenez-vous de cela à chaque fois que vos notes ou vos rangs vous donneront l’impression d’être nul, non pas pour vous complaire dans votre niveau actuel, mais pour ne pas laisser vos résultats déteindre sur votre appréciation de vous-même en tant que personne.

Tant mieux pour les autres s’ils ont du génie. Mon génie à moi s’érigera sur le long terme. Et pour me le constituer, j’aborde la matière avec abnégation, je prends les bons réflexes, j’acquiers au fur et à mesure ces compétences que d’aucuns assimileront plus tard à du génie.

Dans toute cette discussion, le temps constitue la matière première incontournable. Les discours sur la méthode de travail peuvent paraître plus attirants. Comment travailler efficacement ? Je ne sous-estime pas cette question, elle est importante. Mais le fait de tout axer sur les méthodes, sur les stratégies, en négligeant la matière première, c’est une vision tertiarisée à outrance de la société. On néglige la matière première et on se rend ô combien compte ces derniers temps que les matières premières sont le nerf de la guerre. Matière première négligée pour l’emballage, pour la matière travaillée, pour ce qu’on projette d’en faire, alors même qu’on ne l’a pas fournie, ou pas suffisamment. Sans aller, bien sûr, jusqu’à l’épuisement personnel, l’exténuation complète qui vous empêche de travailler sereinement et de réfléchir de manière saine.

Enfin, demandez vous ce que plus tard, rétrospectivement, vous pourriez regretter de vos années passées. Vous ne regretterez pas de ne pas avoir battu telle personne qui, selon vous, est un génie. De ne pas avoir mieux réussi qu’untel autre. Cela, je peux vous l’assurer, ou alors nous n’avons pas la même définition du regret. Par contre, vous serez susceptible de regretter les paramètres sur lesquels vous auriez pu agir. Le facteur travail, en particulier. Rien de plus simple, donc, que de vous éviter ces regrets futurs. Au travail, ayez du coeur à l’ouvrage, et courage.

Vous trouverez ici sur ma chaîne youtube, l’équivalent à peu de choses près de cet article en format audio.

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Par Ayoub Hajlaoui

Lauréat de l'agrégation externe de mathématiques, docteur en mathématiques appliquées de l'université Paris VI, ingénieur civil de l'Ecole des Mines de Nancy, et diplômé du master Maths Vision Apprentissage (ENS Cachan)