Ce texte, improbable rescapé de plusieurs déménagements physiques et numériques, date de 2009/2010. Navré s’il y a trop de gifles petitnicolesques et/ou trop de prénoms arabes dans ma bande pour le politiquement correct actuel. Plus sérieusement, navré pour le style parfois maladroit (dites-moi « tu écrivais mieux avant » et achevez-moi).
Tout commença le jour où ma maman me mit une énorme gifle parce qu’elle m’avait vu boire du robinet du square en collant mes lèvres. Ma fierté de gamin en prit un coup, et je décidai alors de convaincre mes compagnons de toboggan de confisquer le robinet. Nous aurions ainsi le monopole de l’eau, et pas un clochard, pas un autre gosse ne viendrait y toucher, de telle sorte que coller nos lèvres ne poserait plus problème.
Mais, pour mettre en place un tel dispositif, il nous fallait organiser une certaine hiérarchie du pouvoir : bref, il nous fallait un chef. Nous étions quatre : Yacine, moi-même, et deux porteurs du même prénom, que nous distinguerons en les appelant Mohamed 1 et Mohamed 2. Nous décidâmes d’élire le chef, et quatre candidats se présentèrent. Je fis don de ma cartouche Pokémon jaune à Mohamed 1, ce qui réduisit le nombre de candidats à trois, et m’offrit ma première victoire au suffrage universel direct. Yacine démissionna aussitôt pour protester contre la légitimité d’un tel scrutin. Accessoirement, il se plaignit aussi qu’il n’y avait « pas assez de filles ».
Quelques jours plus tard, alors que je me baladais dans le quartier avec toute la grâce que confère une trottinette aux roues fluorescentes, je retrouvai Yacine au sein d’une bande de géants de CM2 (eux non plus n’avaient pas de filles). Ils m’encerclèrent aussitôt, puis Yacine s’avança d’un pas décidé et m’ordonna de leur céder mon moyen de transport. Mais les enfants racketteurs manquent parfois cruellement de logistique, et il faut croire qu’ils ne m’avaient pas bien encerclé (à sept, ce n’est pas bien difficile, pourtant). J’ai dit « non », et j’ai continué à trottiner. Si tous les rackets pouvaient se passer comme celui-là…
Non content de refuser outrageusement le résultat des urnes, Yacine avait donc tenté d’attenter à ma personne. Sa photo devait être collée sur le robinet, pour dévoiler, aux yeux de tous les buveurs, le malfrat qu’il était. Mais ma maman ne me jugeait pas assez grand pour utiliser un appareil photo, même jetable. « Il faut dessiner Yacine », décrétai-je à l’attention de mes administrés. Mohamed 2 et Bastien approuvèrent, tandis que Mohamed 1 se contenta de décoller les yeux de sa Game Boy Color d’un air vaguement abruti. Bastien, c’était un autre amateur de toboggans qui trouvait pas mal du tout cette idée de Monopoly, et qui remplaçait Yacine au pied levé.
Mais voilà, un bon chef se doit d’assurer avant tout la cohésion interne de ses effectifs ; quant à moi, je n’avais pas tenu compte d’un vieux contentieux qui avait opposé Bastien à Mohamed 2 en grande section de maternelle (à savoir si oui ou non la maîtresse était amoureuse de Mohamed 2). Cette dispute reprit on ne sait trop comment, on en vint aux mains, et Mohamed 2 mit une gifle à Bastien. Une gifle moins énorme que celle que j’avais reçue de ma maman, mais le concept restait le même.
Bastien alla voir sa maman en pleurant, et la maman de Bastien demanda à Mohamed 2 pourquoi il l’avait giflé, ce à quoi il répondit en me montrant du doigt: « demandez au chef de la bande ». La maman de Bastien alla voir ma maman, et ma maman me mit une gifle. La larme à l’oeil, je me dirigeai vers le robinet pour me rincer le visage, eus un aperçu des talents plus que médiocres de Bastien en matière de dessin, et appuyai sur le bouton. Pas d’eau. C’était la coupure hivernale.
A.H.